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Anne Siety : "Rien n'est jamais perdu en maths"
La psychopédagogue, auteur de "Qui a peur des mathématiques ?", fait sauter les blocages de ses élèves en tentant de comprendre ce qui se cache derrière.
PAR LOUISE CUNEOModifié le 25/12/2013 à 22:53 - Publié le 19/12/2013 à 12:24 | Le Point.fr"Je hais les maths !" C'est par cette phrase répétée avec rage, angoisse ou défaitisme dans plusieurs langues par des citoyens - en apparence normaux - du monde entier que débute un documentaire français sorti fin novembre, au titre éloquent : Comment j'ai détesté les maths. Il n'y a manifestement ni âge ni nationalité pour avoir cette science en horreur. En France, non seulement on n'aime pas cela, mais le niveau de surcroît n'est pas bien fameux. D'après les résultats de la dernière étude Pisa de l'OCDE, cette évaluation qui compare tous les trois ans les compétences des élèves de quinze ans dans une soixantaine de pays, le niveau ne cesse de baisser. Pourtant, être un cancre en maths n'est en rien une fatalité.
C'est en tout cas ce qu'assure Anne Siety : "On n'est pas nul en maths, on fait des erreurs, ce qui est déjà le début d'un raisonnement." La psychopédagogue s'y connaît, en matière d'élèves persuadés qu'ils ne sont pas faits pour les maths. Depuis près de trente ans, l'auteur de Qui a peur des mathématiques ? voit défiler dans son bureau des élèves de 6 à 60 ans traumatisés par la matière. À l'origine de cette angoisse, il y a bien sûr de mauvaises notes, mais pas seulement : être bon en maths est devenu une condition sine qua non pour réussir de brillantes études supérieures, et être mauvais peut parfois engendrer de véritables drames familiaux. Il y a aussi ces personnes pénalisées dans leur vie quotidienne par un stress intense et récurrent, et qui transpirent rien qu'à l'idée d'évaluer le montant d'un ticket de caisse ou d'une promotion.
De la géométrie, version pâte à modeler
Pourtant, selon Anne Siety, nous sommes tous capables de faire des mathématiques : "Si on n'y parvient pas, c'est souvent parce qu'elles suscitent des émotions qui nous empêchent de réfléchir tranquillement." Et de se rappeler le cas de cet élève qui oubliait systématiquement les signes "moins" dans les opérations, et se montrait incapable de donner un résultat juste dès lors qu'il s'agissait d'un nombre négatif : "De lui-même, il m'a expliqué que le signe "-" pouvait représenter des personnes (les gens en moins, c'est ceux qui sont morts, me dit-il), ou s'appliquer à des altitudes (au-dessous de zéro, c'est sous la terre, et il ajouta : là où on enterre les morts). Anne Siety se souvient aussi de cette élève qui ne parvenait pas à assimiler la notion mathématique de "fonction" : "Lorsque je lui ai demandé d'utiliser le mot fonction dans un autre contexte pour qu'elle en saisisse mieux le sens, elle m'a répondu : j'agis en fonction de ce que me dit ma mère."
Ou encore cette jeune lycéenne qui fondait en larmes à l'évocation du mot "racine", "un terme qui résonne profondément en chacun de nous", remarque Anne Siety. Et la psychopédagogue d'expliciter : "Parfois, on a l'impression de ne pas comprendre ce que, d'une certaine manière, on comprend trop bien. C'est souvent intelligent, un blocage. Le formuler ne résout pas tout, mais c'est un pas en avant." Alors pour "débloquer" ses élèves, Anne Siety part du principe que la difficulté a du sens. Et utilise parfois des jeux pour travailler le blocage de manière moins douloureuse.
Certes, il y a bien quelques livres de maths dans ce bureau au fouillis réconfortant (non, définitivement, nul besoin d'être ordonné et maniaque pour être fort en maths !). Mais loin d'elle l'idée d'assommer ses élèves à coup d'exercices et de problèmes : "Cela peut rassurer, mais ça ne suffit pas. Un blocage demande un travail plus fin." Les manuels ne sont donc pas l'essentiel : le chat zigzague entre les jeux de société et de logique qui s'empilent sur les étagères du bureau. C'est eux qu'Anne Siety utilise pour tenter de venir à bout des difficultés de ses élèves. Ainsi, la pâte à modeler ou les billes peuvent aider à se familiariser avec la géométrie dans l'espace.
"Ce que l'on met en jeu est bien plus fort que des notes"
Et la psychopédagogue a expérimenté sa méthode : elle a commencé à donner des cours de maths à quinze ans, et n'a plus jamais arrêté. Après une école de commerce, la quadragénaire a bien dû se rendre à l'évidence : elle n'était pas faite pour le marketing. Ce qu'elle aimait, c'était l'enseignement... et les maths. Il y avait bien des psys et des orthophonistes qui s'intéressaient à la matière, mais ils évoquaient des "rééducations". Un terme qui ne "parle pas" à la psychopédagogue : "L'idée de rééduquer me rappelle le travail qu'il faut mener lorsqu'on s'est cassé une jambe. Les élèves ne sont pas des êtres cassés, à réparer ! Je préfère leur dire qu'ils sont au volant d'une voiture de course qui fonctionne bien, seulement, ils n'ont pas trouvé comment abaisser le frein à main. Ensemble, nous cherchons comment desserrer ce frein pour que leur voiture puisse donner toute sa puissance", explique la petite brune.
Pour autant, le résultat n'est pas garanti dans l'instant : "Un progrès ne se traduit pas nécessairement par de meilleures notes, du moins dans un premier temps. Il peut même arriver que la soudaine compréhension bouleverse la manière dont l'élève aborde les maths, et entraîne provisoirement une baisse des résultats. Mais ce n'est pas l'essentiel : ce que l'on met en jeu est bien plus fort qu'un bulletin de notes, c'est sa relation à l'autre, à soi." Et de poursuivre : "Les maths peuvent être un moyen de faire connaissance avec soi. On parle profondément de soi, lorsqu'on évoque un repère, un nombre complexe ou imaginaire, une division. Rien n'est jamais perdu en maths. Un blocage, si on le travaille, ouvre sur un univers passionnant !"
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