• Jean-Pierre Kahane : « Des professeurs se contentent de léguer des recettes » (04.02.2014)

    LE MONDE | 04.02.2014 à 11h13 • Mis à jour le 04.02.2014 à 12h31 |Propos recueillis par Emma Paoli

    Elèves en classe dans une école primaire de Mailley, en Haute-Saône.

    Peut-on vraiment redonner le goût des mathématiques aux élèves alors qu'on en a fait une discipline de sélection ?

    On le peut en transmettant cette matière de façon plus active, dynamique. Dans les cours de maths, on met beaucoup l'accent sur la phase finale d'une opération, et pas assez sur la recherche en amont. Et pour inscrire cette discipline dans le réel, il faudrait ouvrir dans les écoles des laboratoires de mathématiques pourpermettre aux élèves de faire des travaux pratiques de longue haleine.

    C'est ce que j'avais préconisé en 2002 dans mon rapport sur l'enseignement des sciences mathématiques et ce que font certains établissements. Dans un lycée de Montpellier, j'ai vu un vrai laboratoire qui fonctionnait à merveille, permettant une approche pluridisciplinaire du programme sur la vision. En biologie, on y apprenait l'anatomie de l'oeil. En physique, les lois de l'optique. Et en maths, la perspective. C'est quand même une façon plus humaine d'aborder les mathématiques ! Les élèves manipulent des objets, cherchent des réponses, se trompent, se corrigent…

    Préconisez-vous d'autres portes d'entrée dans la discipline ?

    Oui, on peut également prendre l'exemple de la Chine où les manuels abordent les mathématiques par le biais de questions pratiques. Il s'agit évidemment de prétextes pour stimuler la machine mentale. A l'inverse, les exercices de maths se présentent généralement en France sous la forme d'algorithmes. C'est donc aux enseignants de les illustrer par des histoires, des commentaires ou des exemples qui s'adressent au plus grand nombre. Or, certains professeurs des écoles se contentent de léguer des recettes, autrement dit des opérations toutes faites. Cela montre que ces derniers ne sont pas suffisamment formés à l'histoire des sciences pour raconter cette discipline, en faire un objet vivant.

    Qu'entendez-vous par l'histoire des sciences ?

    J'entends par là des formations qui accordent de l'intérêt aux contextes historiques dans lesquels se développent les concepts mathématiques. Prenons l'exemple des nombres premiers. Quand sont-ils apparus ? Quel usage en faisaient les Babyloniens ? De même pour la table de multiplication. Comment se pratiquait-elle dans la Rome antique et en Mésopotamie ? Autant de questions passionnantes qui forment l'esprit et peuvent donner le goût de la discipline. Les professeurs doivent prendre conscience qu'ils ne sont pas seulement porteurs de techniques, mais de fragments de l'histoire.

    Pour mieux maîtriser les mathématiques ?

    Le terme « maîtriser » dans les programmes scolaires m'a toujours irrité. On ne maîtrise jamais rien en matière intellectuelle. Ce n'est pas comme le vélo, où la technique s'acquiert d'un coup. D'où l'intérêt de mettre en place des formations continues pour les professeurs. Ces derniers pourront ainsi penser leur métier tout au long de leur vie. Cela aurait forcément des répercussions positives sur leur manière d'enseigner.

    Aide-t-on trop peu les enseignants ?

    Ce qui est certain, c'est que les professeurs ne sont pas les seuls responsables de la baisse de niveau des élèves français en maths. Les parents et les enfants y contribuent également, notamment par une absence d'adhésion aux valeurs de l'école. Le drame c'est que dans l'esprit des petits Français, le travail n'est plus qu'un gagne-pain et l'école, un moyen de l'obtenir. Etre premier de la classe n'est plus valorisé. Certains le cachent, même. Dans un climat pareil, il est difficile defaire des progrès scolaires.

    Vous épargnez dans votre critique les programmes et leur lourdeur ?

    Reprocher aux programmes leur lourdeur ne règle rien. Plutôt que les alléger avec cohérence, on les ampute de manière complètement arbitraire jusqu'à les rendre presque incohérents. Ce qui ajoute une difficulté supplémentaire aux professeurs. Et puis les maths, c'est un système coordonné de connaissances. C'est comme un échafaudage. Vous enlevez un bout de la charpente et le tout s'effondre !


  • Commentaires

    1
    nakhil
    Jeudi 3 Avril 2014 à 02:35

    Bonjour

    Une remarque à propos de la lourdeur des programmes, même si les maths est un système coordonné de connaissances, alléger le programme ne signifie pas supprimer  en des parties au hasard mais réorganiser, supprimer les notions qui posent problème en enseignement et  en apprentissage surtout lorsqu'elles ne sont pas nécessaires. prenons l'exemple de la valeur absolue, on peut s'en passer ou retarder son introduction ou la présenter autrement et sans les barres car pour des élèves c'est la b^te noir. son utilisation est artificielle, c'est pour définir une fonction par parties, donner un exemple de fonction non dérivable, rendre difficile un contrôle. Il y a l'exemple de la notion de partie entière qui ne figure plus au programme comme exemple de fonction non continue.

    C'était une simple remarque . le texte m'a beaucoup intéressée , il est riche en informations et reflète du vécu et non de la théorie. Merci à Mr KAHANE

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :