• Peut-on enseigner les mathématiques à tous ?

    LE MONDE | 04.02.2014 à 11h12 • Mis à jour le 04.02.2014 à 18h11 |Par Emma Paoli

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    Vous me comptez neuf objets », dit la maîtresse. Noor, 5 ans, sépare d'un geste sûr les images où figurent neuf lions de celles qui n'en comptent que quatre, cinq ou six. A l'origine de cette compétence précoce, un manuel : Mathématiques, méthode de Singapour (La Librairie des écoles). Traduit depuis 2007 en français, cet ouvrage met l'accent sur la décomposition des chiffres, proposant une compréhension des problèmes mathématiques en profondeur afin de les résoudre complètement. Il a été importé en France par des expatriés étonnés des résultats spectaculaires des élèves singapouriens aux classements internationaux en mathématiques. Et pour cause, ils sont toujours en tête. Loin devant la Finlande.

    500 établissements français ont adopté la méthode, à l'instar de l'Ecole aujourd'hui, une école privée laïque du 14e arrondissement de Paris. Cécile Primot, sa directrice, applaudit d'abord la simplicité du manuel. « Contrairement aux autres bouquins de maths où les consignes sont complexes et denses, ce fichier est épuré et intuitif. Qu'il s'agisse de la mise en page ou des exercices, tout y est limpide. Les enfants, qui ne savent pas encore lire, peuvent comprendre ce qu'ils doivent faire à partir des images. Ils se passeraient presque de mes explications », s'amuse la jeune femme, qui assure les cours de dernière année de maternelle.

    UNE MEILLEURE « ASSISE » EN ARITHMÉTIQUE

    Autre bon point : la répétition. « La méthode de Singapour est extrêmement progressive. C'est sa force, car elle permet à l'élève d'explorer les concepts sous toutes les facettes avant d'avancer et à nous, enseignants, de mieux repérer où un enfant bloque », s'enthousiasme Nathalie Perrin, sa collègue de CE1. Depuis qu'elles ont opté pour cette méthode – l'une en 2011 et l'autre en 2013 –, les deux femmes observent chez leurs élèves une meilleure « assise » en arithmétique. Mais outre l'usage du manuel, Cécile Primot insiste sur les expérimentations et manipulations que doivent faire les enfants. C'est comme cela qu'on enseigne les mathématiques à Singapour !

    Avant d'ouvrir le livre, les élèves manipulent des « réglettes cuisenaires », autre outil utilisé par l'Ecole aujourd'hui. Ces bâtons colorés de différentes tailles correspondent à des chiffres. Ceux de 1 cm au chiffre 1, ceux de 5 cm à 5… Ce jour-là, Noor et les autres doivent les assembler pour atteindre le chiffre 9. Parmi les nombreuses variantes, Anatole, petit pull marin et grandes lunettes rondes, a trouvé « 3 + 3 + 3 ». Une découverte formidable à en croire le sourire qui se dessine sur ses lèvres.

    « DONNER DU SENS AUX OPÉRATIONS MATHÉMATIQUES »

    « En manipulant des objets, les additions prennent sens, elles s'inscrivent dans le réel », estime Cécile Primot. Sa collègue Nathalie Perrin partage la même opinion.« L'assemblage de réglettes permet à l'élève de construire une opération et non pas simplement de l'écrire sur son cahier. Ici, nous essayons vraiment de donnerdu sens aux opérations mathématiques. »

    Un des enjeux est de faire comprendre d'emblée ce qu'il y a derrière un nombre et les liens qui unissent additions et soustractions. « Très vite, les élèves vont aussicouper une pizza en dix parts ou partager des cartes pour se familiariser en douceur avec la division », explique l'enseignante. C'est un grand classique dans les pays asiatiques d'approfondir chaque notion en manipulant, pour encomprendre la réalité et les multiples facettes, avant de passer à l'abstraction.

    Lire aussi notre entretien avec Jean-Pierre Kahane : « Des professeurs se contentent de léguer des recettes »

    • Emma Paoli 
      Journaliste au Monde

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    22,3 %

    C'est le pourcentage des jeunes Français de 15 ans trop faibles en mathématiques pour résoudre des problèmes simples. A cet âge, seuls 78% sont capables de répondre que si Hélène a parcouru 4 kilomètres en dix minutes puis 2 kilomètres les cinq minutes suivantes, elle a roulé à une vitesse constante. Une question à laquelle 88% des Finlandais et 96% des jeunes de Shanghaï ont, eux, bien répondu dans les tests du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA), rendu public en décembre 2013.
    En dix ans, le niveau moyen en mathématiques a baissé en France. D'abord parce que les « décrocheurs » sont passés de 16,6% en 2003 à plus de 22% aujourd'hui – ce qui fait 40 000 nouvelles victimes d'innumérisme de plus chaque année. Ensuite, parce qu'à l'autre bout, PISA révèle que le groupe des très bons a lui aussi fondu.
    Et contrairement à ce qu'on croit, le marquage social est aussi fort en maths qu'en maîtrise de la langue. Ainsi, les enfants des familles les plus défavorisées ont un écart avec les enfants de culture plus scolaire qui correspond à trois années d'études. C'est abyssal et c'est encore l'illustration que le modèle français d'ascenseur social ne fonctionne pas mieux en sciences qu'en français.


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