• Discussion au sujet de la Conférence du Professeur Piaget Jean Piaget, La genèse du nombre chez l'enfant (1949)

    Cette discussion est retranscrite dans l'ouvrage collectif Initiation au calcul - enfants de 4 à 7 ans, par Piaget, Boscher, Chatelet, etc. (1949)

    On trouvera la conférence de Piaget sur le nombre ici : Jean Piaget, La genèse du nombre chez l'enfant (1949).

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    Discussion au sujet de la Conférence du Professeur Piaget

     

    À la demande de Mme l’Inspectrice générale Boscher, M. le Professeur Piaget l’avait souhaité lui-même, la conférence du Professeur Piaget fut suivie d’un débat qui passionna l’auditoire et qu’il fallait interrompre beaucoup trop vite au gré de chacun suivant les exi­gences de l’horaire.

    Mme Dufresse, Inspectrice des Ecoles maternelles, a pu en reconstituer les passages essentiels.

    Mlle BOSCHER. — Monsieur le Professeur, laissez-moi vous exprimer tous les remerciements que nous vous devons pour cette conférence si claire, si vivante, si riche d’expériences, d’aperçus nouveaux sur l’intelligence de l’enfant. Pour beaucoup de vos auditrices, ce fut l’intérêt passionnant de la dé­couverte, et votre conférence aura certainement pour résultat de les ame­ner à reconsidérer bien des pratiques journalières. Comme vous l’avez dit, elles sont avant tout des praticiennes, vous les avez conduites avec une auto­rité incontestée au seuil de l’action pédagogique, vous avez même bien voulu leur donner en terminant des conseils infiniment précieux. Je crois exprimer leur désir en vous disant leur reconnaissance si vous les aidiez à franchir le seuil de l’action pédagogique, en répondant aux questions qu’elles vont se permettre de vous poser.

    Qui désire poser une question à M. le professeur Piaget ?

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    Je vais ouvrir le feu. Vous avez montré, monsieur le Professeur, que, dans cette conquête du nombre, l’enfant passait par des stades, toujours les mêmes, dont l’ordre est rigoureusement déterminé. Devons-nous penser que cette pro­gression, ainsi gouvernée par des lois strictes, doit faire de l’éducateur surtout un spectateur dont le principal souci serait de ne pas gêner l’enfant dans ses expériences. Ou bien pensez-vous qu’il a un rôle vraiment utile et important à jouer dans cette évolution, qu’il peut la hâter et la hâter heureusement ?

    1. le professeur PIAGET. — J’imagine qu’on peut la hâter, mais l’ordre de succession est toujours le même. À mon avis, je ne vois pas un avantage très grand à accélérer. (Applaudissements.)

    Je crois qu’avant tout il faut que les bases soient solides. Un enfant a infiniment à gagner à faire pendant trois jours une expérience qu’il fait lui-même; passer un quart d’heure à la lui montrer est d’un intérêt beaucoup plus discutable.

     

    Mlle BOSCHER. — Par conséquent, l’intervention de l’éducateur doit se faire quand l’enfant manifeste le besoin d’un guide. Pensez-vous qu’il l’éprouve dans ses tâtonnements?

    1. le professeur PIAGET. — Il y a tout le matériel, tout le milieu qu’il faut renouveler en fonction des intérêts du moment, des nouveaux problèmes qui se posent. Je crois surtout que le rôle de l’éducateur est d’arriver à produire la conscience des problèmes, à susciter des problèmes; quelquefois on peut ren­dre service à l’enfant en lui posant des questions.

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    Une congressiste. — Si nous lui posons des questions, c’est là que nous pouvons peut-être hâter le développement de l’enfant.

    1. le professeur PIAGET. — C’est possible, mais il ne faut pas en faire un but; il faut que l’accélération se fasse d’elle-même. Par exemple dans les expériences de transvasements, de perles, dont je vous parlais tout à l’heure, l’enfant peut très bien ne pas songer à faire la contre-épreuve, c’est-à-dire à reverser dans le bocal initial pour voir si le contenu a changé. Voilà une ques­tion qu’on peut poser. Si cela ne l’intéresse pas du tout on n’insiste pas, mais cela peut déclencher au contraire, toute une succession de choses.

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    Une congressiste. — Pour le matériel d’expérimentation, y a-t-il des règles générales selon les âges ? Pourrait-on avoir, par exemple, quelques directives sur le matériel qu’on peut proposer à l’enfant de deux ou quatre ans ?

    1. le professeur PIAGET. — Nous avons constaté que le matériel préparé chez soi, d’avance, ne joue pas. C’est un point de départ, mais tout est à refaire.

    Mlle BOSCHER. — Peut-être suivant les stades ?...

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    Une congressiste. — Je ne suis pas entièrement satisfaite devant la ré­ponse qui nous a été donnée sur le pouvoir que nous aurions de hâter l’avè­nement de la genèse du nombre. Il y a, à la base, des opérations logiques sur lesquelles doit porter notre intervention. Pour la construction des opérations logiques, ne serait-il pas possible d’imaginer un matériel qui permettrait de hâter ces opérations logiques, à supposer qu’elles ne soient pas conditionnées par la maturation de l’enfant ?

    Mme DUFRESSE. — Je crois que la logique trouve à s’exercer dans toutes les activités de l’enfant. C’est pourquoi il faut amener l’enfant à se poser des questions d’intérêt logique, d’ordre logique toutes les fois que l’occasion s’en présente.

    1. CABUS. — Est-ce que ceci est fait d’une manière systématique ?

    Mme DUFRESSE. — Chez nous, rien n’a été fait jusqu’ici d’une manière systématique, pas plus en calcul qu’ailleurs. Mais nous avons souvent constaté au terme de l’éducation sensorielle avec des enfants de cinq ans, que vient un moment où des perceptions plus nombreuses, plus nuancées ont besoin, pour se distinguer, d’évaluations plus précises que des données sensorielles; que tous les adverbes combinés ne suffisent plus à exprimer même les différences perceptibles; que l’enfant, lui-même, sent la nécessité de la mesure et du nombre.

    Les expériences de M. Piaget confirment la place que tiennent ces rap­ports perceptifs, intuitifs, dans le jugement et le comportement des enfants. Il précise par quelles étapes l’enfant arrive à les soumettre au contrôle de son intelligence pour aboutir à des rapports logiques, objectifs, généralisables.

    Nous avions jusqu’ici avec les enfants de quatre à cinq ans des « exercices sensoriels préparatoires au calcul », nous voulons y ajouter une préparation de son intelligence. Pendant cette période que nous avons appelée pré-arithmé­tique l’enfant peut découvrir la nécessité de certains rapports, l’invariance et la réversibilité de tels autres, les modifications susceptibles d’être apportées pra­tiquement à ces rapports; il apprendra le vocabulaire correspondant à ces découvertes, à ces opérations... avant d’aborder l’étude du nombre et des opé­rations arithmétiques.

    1. CABUS (Inspecteur primaire). — Je me demande s’il ne serait pas pos­sible d’imaginer des exercices spéciaux de préparation au calcul, dans l’in­térieur du temps qu’on appelle le calcul; ces opérations prépareraient le travail logique de l’enfant et seraient en quelque sorte étalonnées suivant les âges. Nous pourrions ainsi voir si le problème de maturation joue et joue seul.
    2. le professeur PIAGET. — Je crois qu’il y a tout intérêt à insister sur le matériel qui donnerait lieu à des opérations logiques chez l’enfant, mais je ne crois pas que le but doit être de hâter; le but doit être d’exploiter toutes les possibilités à un stade déterminé.

    Une congressiste. — Non pas avec l’idée de hâter, mais avec l’idée de ne pas laisser perdre une période favorable que nous pourrions laisser perdre parce que nous n’avons pas apporté à l’enfant à ce moment-là ce qu’il aurait fallu lui apporter.

    Une autre congressiste. — Nous avons souvent l’impression que nous avons laissé perdre un bon moment, une « période sensible », comme dit Mme Mon­tessori.

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    1. CABUS. — Je me demande si ces opérations logiques se dégagent pour l’enfant, si elles ne restent pas toujours extrêmement confuses et liées à une certaine matière, même à l’énoncé du nombre, par exemple
    2. le professeur PIAGET. — Les opérations logiques restent toutes liées à une matière jusqu’à douze ans. Je ne crois pas qu’il y ait de logique formelle avant le début de l’adolescence, d’opérations relatives à un certain contenu indépendamment de ce contenu; les mêmes opérations joueront très bien pour des longueurs, mais ne joueront plus pour des surfaces, joueront pour du poids, mais pas pour du volume. Ce n’est que vers onze, douze ans qu’une mécani­que formelle peut être réalisée.

    On connaît l’adolescent beaucoup moins que l’enfant au point de vue de la logique, et là-dessus il y a encore de beaux travaux à faire pour vérifier ce que vous dites.

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    1. EYRAUD (professeur de Mathématiques spéciales). — J’ai le sentiment que la notion du nombre est plus une notion expérimentale qu’une notion logique. Imaginons un enfant qui sache compter jusqu’à 12; vous lui mettez dans un panier 12 objets, 12 billes par exemple, et vous lui faites compter ces billes jusqu’à 12; il compte ses billes une à une. Il s’aperçoit que quel que soit l’ordre dans lequel il prenne ces billes, il arrive toujours au même résultat. Je crois qu’il y a là la base de la notion expérimentale du nombre 12; c’est bien miraculeux que quel que soit l’ordre dans lequel on prenne les billes, on trouve toujours le même résultat. C’est une expérience que l’enfant peut faire et com­prendre. Quand il a fait cette expérience un certain nombre de fois, il s’aper­çoit que chaque collection est caractérisée par un nombre cardinal absolument indépendant de la façon dont on a compté la collection. Il n’y a là aucune espèce d’opération logique. La logique ne permet pas de démontrer que le nombre cardinal est toujours le même, c’est une véritable notion expérimen­tale.
    2. le professeur PIAGET. — J’aimerais répondre deux choses à mon cher collègue le mathématicien. Je crois qu’au point de vue psychologique, il y a deux types d’expériences tout à fait différentes à distinguer. Il y a d’abord l’expérience que l’enfant fait sur des objets. Il découvrira par exemple que certains objets tombent sur le sol et que d’autres s’élèvent quand on les lâche; il découvrira donc par l’expérience les propriétés physiques de ces objets. Mais il y a d’autres expériences que l’enfant fait, je dirai non plus sur des objets, mais avec des objets parce qu’il n’y a pas moyen d’agir sans eux; ces expériences-là, il les fait beaucoup plus sur le résultat de ses propres actions que sur les objets eux-mêmes. Quand l’enfant découvre qu’en comptant 12 cailloux, il les retrouve quel que soit l’ordre dans lequel les compte, il procède expérimentalement, je suis complètement d’accord. Mais je ne crois pas que ce soit une propriété physique qu’il a découverte et que les cailloux s’accordent avec cette propriété. L’enfant apprend essen­tiellement l’ordre de manipulation; quel que soit l’ordre de manipulation, il arrive toujours au nombre 12, c’est ainsi une propriété de son action beau­coup plus qu’une propriété des cailloux qu’il découvre, c’est l’expérience sur l’action propre. Ce sont ces expériences qui lui permettent d’arriver au sen­timent de la nécessité, tandis qu’une expérience purement physique n’arrive jamais à la nécessité; s’il fait beaucoup d’expériences physiques, il n’arrivera jamais à ce sentiment que ce doit être ainsi. Donc, première réponse, disso­cier la notion de l’expérience en deux.

     

    La deuxième réponse portera sur la logique. Quand je dis logique, je n’ai pas eu le temps de dissocier, de distinguer les différentes étapes de la logique formelle pure; pour l’enfant, la logique, c’est uniquement une logique de mani­pulation, une logique des actions. Ce n’est pas une logique de la parole. Cette logique des actions procède de l’expérience si vous voulez sur sa propre action avec des objets comme instruments. Je crois donc la logique plus complète que vous ne le dites; l’opération doit être coupée en deux, l’expérience et, précisément, la logique.

    1. EYRAUD. — Autrement dit, la logique n’est que l’interprétation intel­ligente de l’expérience.
    2. le professeur PIAGET. — Je suis d’accord avec la formule que vous proposez. Si ce n’est pas l’expérience physique, c’est une action sur l’objet quelconque.

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    Mlle BOSCHER. — J’insisterai encore sur l’idée de maturation qui me semble essentielle pour l’acquisition correcte des premières notions de calcul; je crains que quelquefois, à l’école maternelle, on ne soit tenté d’aller trop. vite pour aller plus loin.

    1. le professeur PIAGET. — Je crois que les différences relatives à l’intelli­gence sont très sensibles d’un enfant à l’autre, mais je ne crois pas qu’il y ait une bosse des mathématiques chez le petit.

    Une congressiste. — Quelquefois on voit des enfants qui s’évadent d’eux-mêmes. J’ai remarqué un cas peut-être assez exceptionnel que je ne voudrais pas voir généralisé. C’est le cas d’un enfant qui, classant des quantités paires et impaires, s’est trouvé devant le chiffre zéro; il a commencé par l’éliminer trois fois en sentant qu’il y avait, pour lui, une impossibilité de classement. Finale­ment, après avoir épuisé tous les nombres à classer, il m’a posé la question, à. laquelle je n’ai pas répondu, voulant le laisser devant le problème entier. Au bout d’un moment de réflexion, l’enfant m’a fait la réponse suivante : « Deux est pair, quatre est pair, donc zéro est impair (sic). » L’enfant s’était donc évadé d’un matériel. Très jeune, il était allé très loin, il avait tout de même acquis de la logique presque pure. Il n’avait pas eu besoin de matériel pour arriver à la lo­gique et à une réponse exacte. Le matériel n’est donc pas toujours nécessaire. D’autre part, Mme l’Inspectrice demande que les enfants n’aillent pas trop loin à l’école maternelle; je crois qu’il serait tout de même dommage de ne pas laisser aux enfants qui ont de grandes dispositions la possibilité de s’évader et d’aller assez loin.

    1. JOSSERAND (vice-recteur de Lyon). — Cette maturation viendrait-elle sans exercices ?
    2. le professeur PIAGET. — Je ne le crois pas; je crois que c’est un faux problème que d’opposer la maturation et l’exercice, car maturation suppose exercice.

     

    1. JOSSERAND. — Justifie même l’exercice à l’école maternelle.

    Mlle BOSCHER. — Il faut donc accorder une très grande importance au milieu éducatif, qu’il ne faut pas confondre avec le cadre.

    1. JOSSERAND. — Si les exercices n’ont pas pour but de hâter la matura­tion, ils la favorisent tout de même automatiquement et normalement.
    2. le professeur PIAGET. — Bien entendu.

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    Mlle BOSCHER. — II y a une grande importance à la prise de conscience par l’enfant de la différence entre la valeur cardinale et la valeur ordinale d’un nombre. En concluez-vous que ces deux notions doivent être acquises simultanément ? Quelquefois, on rejette à plus tard l’étude de la valeur ordi­nale du nombre. Ne pensez-vous pas que cette notion de valeur ordinale soit aussi accessible à l’enfant ?

    1. le professeur PIAGET. — L’une des deux notions suppose toujours l’au­tre à l’état implicite, par conséquent il y a avantage à lier les deux. On trouve des enfants qui sont en avance au point de vue de l’ordre et en retard au point de vue durée, mais on trouve l’inverse; on trouve aussi un niveau où ces deux notions se rejoignent; mais cela est, je crois, une affaire individuelle.

    Une congressiste. —A quel âge croyez-vous qu’un enfant ait la notion du nombre cardinal et ordinal ?

    1. le professeur PIAGET. — La moyenne est aux environs de sept ans.

    Une congressiste. — A ce moment-là nous pouvons parler de nombre proprement dit.

    1. le professeur PIAGET. -- j’ai vu des enfants qui savaient compter jus­qu’à 20 parce que les familles les avaient poussés, et qui ont manqué toutes les expériences de conservation.

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    Une congressiste. — Il y a dans l’enseignement du calcul deux choses : la logique dont parlait M. le Professeur tout à l’heure, et la logique expérimen­tale. L’enfant peut fort bien faire des opérations mentales très compliquées sans en comprendre le sens profond, sans en comprendre la nécessité logique profonde; il y a des enfants de cinq ans qui font par exemple du calcul mental à la perfection sans avoir manipulé ni bûchettes ni jetons. C’est tout de même troublant, et on se demande à quel point on doit entraîner ces enfants ou au contraire les laisser sans exercice.

    1. le professeur PIAGET. — Je crois que c’est le cas typique où il faut en revenir au concret; le danger chez les petits, c’est la prolifération verbale en dehors du matériel.

    Une congressiste. — Mais l’enfant comprendra plus tard le sens profond de ces opérations qu’il fait mécaniquement; quelquefois à vingt ans, nous com­prenons seulement des choses que nous avions faites mécaniquement jusqu’à cet âge, mais dont nous n’avions pas compris le sens profond.

    1. le professeur PIAGET. — Il y a de très bons exemples qu’on peut donner de ces cas-là, entre la compréhension opératoire concrète et la com­préhension verbale et formelle. Tout le monde sait, par exemple, la difficulté que l’on a à faire comprendre à des adolescents du niveau du lycée la règle des signes en algèbre. À tel point que, quand on fait des calculs statistiques de corrélation chez les étudiants en psychologie, il y en a toujours une petite fraction qui ne connaissent pas la règle des signes en algèbre, il y en a encore qui se trompent et qui n’arrivent pas à comprendre que moins par moins fait plus. Je prétends que la règle des signes est acquise par l’enfant de sept ans dans le cas suivant : il sera justement un de ces cas expérimentaux dont on nous parlait tout à l’heure, je parle de l’expérience sur sa propre action dans la notion d’ordre.

    Je donne à l’enfant une tige de fer avec trois perles — mettons rouge, blanche et bleue — et on fait passer la tige dans un tunnel, dans un tube par exemple. On demande à l’enfant : « Dans quel ordre les perles vont-elles sor­tir ? » Bien entendu, « la rouge en tête » sera la réponse. Deuxième question : l’on revient en arrière; ceci est déjà plus difficile, c’est déjà une étude de réversibilité, donc une complication. Le problème sera résolu entre quatre et cinq ans (la bleue dans l’ordre inverse). Maintenant, venons-en à la question captieuse : on met les trois perles dans le tunnel, on tourne le tunnel — c’est-à-dire qu’on lui fait faire une rotation de 180° — et on demande : « Dans quel ordre vont-elles sortir ? » Les petits commencent par dire la rouge, et puis ils constatent que c’est la bleue. Ils vous disent que c’est parce que vous avez. tourné. On recommence; on part toujours du point de départ en faisant cons­tater les trois couleurs, mais cette fois on tourne deux fois (donc deux opéra­tions inverses). On demande : « Que va-t-il sortir ? » Les petits vous disent : «Quand on a tourné c’était la rouge, maintenant, a fortiori, ce sera la rouge qui sera en tête. » Ils sont tout étonnés que ce soit la bleue, alors qu’on a tourné deux fois. On reprend tout de suite le point de départ et on tourne trois fois, on demande : « Qu’est-ce qui va se passer ? » Pour les tout-petits, ce sera la blanche, c’est son tour. » Ils ne connaissent pas encore cet axiome d’ordre : si B est entre C et A, il est aussi entre A et C; on dit qu’il n’y a pas de compréhension. Vers six ans et demi, sept ans, l’enfant arrive à compren­dre qu’avec une rotation on change l’ordre. Puis il comprend qu’en faisant deux rotations, on ramène l’ordre direct, et dès qu’il a compris cela, il com­prend qu’avec 3 c’est l’ordre inverse, avec 4 l’ordre direct, ainsi de suite. Tous les nombres pairs donneront le rouge, tous les nombres impairs donneront le bleu, etc.... ; ceci est la règle des signes : vous avez tourné une fois, donc vous inversez; vous avez tourné une autre fois, donc vous inversez encore par rapport à l’inversion, le produit des deux vous ramène à l’ordre direct. C’est la règle des signes et l’enfant de huit ans comprend fort bien cela.

     

    Tant que nous sommes dans l’action il comprendra des choses de ce genre. Il suffit qu’on le mette en algèbre avec des symboles et en ayant la fausse pudeur de ne pas donner de tuyaux, de tunnels et d’objets à retourner, pour que cela devienne purement verbal. Je le répète, il y a une proportion d’étudiants qui n’arrivent pas à comprendre pourquoi moins par moins donne plus; lorsqu’on le leur dit, ils veulent bien corriger leurs calculs de corréla­tion, mais ils n’ont pas mieux compris qu’avant. Donc, à toutes les périodes de la scolarité, le danger existe entre le verbal et l’opératoire.

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    Une congressiste. — Il me semble qu’il y a, dans les expériences, quel­ques dangers. D’abord, j’en vois de deux ordres; l’enfant comprend souvent difficilement la question qui lui est posée; je sais bien qu’on la retourne dans différents sens, la question tout de même reste quelque chose de difficile. Puis, si on fait plusieurs expériences successives, l’enfant a un peu l’impression qu’on lui présente des «attrapes ». J’ai l’impression que les expériences qu’on lui fait faire sont moins bonnes que celles qu’il fait dans ses jeux libres à l’al­lure plus familière. Il arrive là à dépasser tout au moins ce qu’il donne dans ses réponses au cours d’expériences, à cause des difficultés de langage et à cause des petites attrapes auxquelles il s’est déjà laissé prendre.

    1. le professeur PIAGET. — C’est un problème de contact avec l’enfant, mais je crois qu’on peut toujours arriver à se faire comprendre d’un enfant.

    Mlle BOSCHER. — Tout le monde n’a pas mis au point comme vous, monsieur le Professeur, les expériences et les fameuses observations auxquel­les votre nom restera attaché; il est évidemment très délicat de reproduire ces expériences, et nous ne pouvons les aborder nous-mêmes qu’avec prudence.

    Une congressiste. — Je crois qu’il faut que nous nous méfiions des résul­tats que nous pourrions obtenir, parce qu’il y aura certainement des erreurs de notre part.

    Mlle BOSCHER. — Nous allons être obligés de clore cette séance, mais elle aura certainement de précieux et durables prolongements dans l’activité des congressistes.

    En leur nom, je désire encore une fois, monsieur le Professeur, vous remer­cier d’avoir accepté avec tant de spontanéité de prendre part à ce congrès, et d’avoir mis avec tant de simplicité et de cordialité votre compétence au service des institutrices maternelles françaises.

    Au nom de toutes, je vous en remercie très vivement.

    L’auditoire debout applaudit longuement.

    Mme DUFRESSE,

    Inspectrice des Ecoles Maternelles

     

     

    PROLONGEMENT :

    Discussion au sujet de la Conférence du Professeur Piaget Jean Piaget, La genèse du nombre chez l'enfant (1949)

    Les pratiques Montessori s'opposent-elles aux recommandations de Piaget ?

    http://montessori33.fr/additions-grands-nombres-en-montessori/


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